Le thème de la session annuelle 2016-2017 :
L’AMOUR DANS LA PSYCHANALYSE
Nous nous appuierons sur une lecture du Séminaire, livre VIII, Le transfert, de Jacques Lacan,
Seuil éditeur, deuxième publication 2001, texte établi par Jacques-Alain Miller.
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L’amour dans la psychanalyse
La psychanalyse enseigne sur l’amour, car l’amour est son ressort. Souvent inconscient, cet amour que l’analysant porte à l’analyste, c’est le transfert. Dans l’artifice de la situation analytique, il a la même étoffe que l’amour vrai : l’amour s’adresse à celui dont le sujet pense qu’il connaît sa vérité. Aimer vraiment quelqu’un, le croire, c’est donc croire qu’en l’aimant on accédera à une vérité sur soi. Ainsi nous aimons celui ou celle dont nous supposons qu’il recèle la réponse, ou une réponse, à notre question – Qui suis-je ? L’amour imagine que cette vérité serait agréable, aimable – en fait, elle est difficile à supporter : la psychanalyse nous apprend qu’à l’horizon du désir, il y a la Chose, innommable, Das Ding. C’est la tromperie de l’amour.
Comme l’indique Lacan, « par la seule supposition, je dirai, objective de la situation analytique, c’est déjà dans l’autre que petit a, l’agalma, fonctionne. (…) Du fait seul qu’il y a transfert, nous sommes impliqués dans la position d’être celui qui contient l’agalma, l’objet fondamental dont il s’agit dans l’analyse du sujet, comme lié, conditionné par ce rapport de vacillation du sujet que nous caractérisons comme constituant le fantasme fondamental (…) C’est un effet légitime du transfert. »1 Dans Le Banquet de Platon, sur lequel Lacan s’appuie pour élaborer le concept du transfert, Alcibiade fait une confession publique ; devant tous, devant le tribunal de l’Autre, est dévoilé « le secret le plus choquant, le dernier ressort du désir, qui oblige toujours dans l’amour à le dissimuler plus ou moins – sa visée est la chute de l’Autre, A, en autre, a. » 2 Deux années plus tôt, Lacan avait déjà avancé que « dire à quelqu’un je vous désire, c’est très précisément lui dire Je vous implique dans mon fantasme fondamental ».3 C’est ce que l’amour essaie de cacher.
Dans le Séminaire VIII, Lacan met en valeur l’agalma dans le transfert. Cet objet caché, si déterminant, n’a pas de consistance signifiante. L’agalma est la version merveilleuse de l’objet, mais parfois c’est sa version de déchet, palea, versant de haine du transfert négatif, qui inaugure l’analyse. Dans le Séminaire IX sur l’identification, Lacan poursuit son élaboration concernant l’objet. Il procède à la signifiantisation de l’identification freudienne, l’arrache à l’imaginaire pour la qualifier d’identification symbolique. Puis, dans le Séminaire X sur l’angoisse, il oppose à ce grand I de l’idéal l’objet a, dès lors conceptualisé comme élément de jouissance appartenant au registre du réel. Lacan peut dire que « seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir » et accentuer que « désirer l’Autre, grand A, ce n’est jamais désirer que a »4. Il relit ensuite la distinction freudienne entre amour et hypnose – l’hypnose superpose I, l’Idéal de l’identification symbolique, à l’objet a – pour en déduire la fonction de l’analyste. Non seulement l’analyste n’a pas à s’identifier à l’Autre de l’amour, il doit en déchoir ; mais avant tout le ressort fondamental de son opération est de maintenir la distance entre I et a, l’élément séparateur. Il fait de l’analyse l’inverse exact de l’hypnose5.
Déjà, dès 1960, dans « Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine », Lacan avait distingué deux formes de l’amour : « Si la position du sexe diffère quant à l’objet, c’est de toute la distance qui sépare la forme fétichiste de la forme érotomaniaque de l’amour »6. Derrière ce mot, amour, il faut donc entendre le liebe freudien, c’est-à-dire amour, désir et jouissance réunis en un seul mot7.
Douze années plus tard, dans le Séminaire XX, Encore, il démontrera que la position féminine témoigne d’une limite qui n’est pas de l’ordre de la structure ; elle est contingente et dépend de la rencontre, elle dépend donc de l’amour. Côté homme, le rapport à la limite est de structure, c’est-à-dire lié à la borne phallique, et la jouissance fétichiste ne nécessite pas la parole. Quand l’amour est présent, il peut servir à voiler a. Côté femme il est d’amour.8 En effet, la jouissance supplémentaire que Lacan attribue au côté femme a deux faces. D’un côté il y a la jouissance du corps, diffuse, non limitée à l’organe phallique, et le déborde ; de l’autre, il y a la jouissance de la parole, jouissance présente dans le signifiant comme tel. L’amour est une composante essentielle de l’objet érotomaniaque. C’est pourquoi une femme met souvent son partenaire au pied du mur de lui parler d’amour.
La jouissance est autistique, tant du coté féminin que masculin. Le partenaire fondamental du sujet reste donc la solitude. La solitude est donc, différemment chez les hommes et chez les femmes, assurée à chacun – sauf à trouver chez un partenaire son symptôme comme moyen de jouissance. Il n’y a pas de rapport sexuel ne veut donc pas dire qu’il n’y a pas de relations sexuelles, mais que le rapport à l’autre sexe comme tel n’existe pas ; qu’il est lié à la contingence de la rencontre, où l’amour peut venir le recouvrir, ou le suppléer. L’amour se définit alors par la rencontre chez le partenaire des symptômes, des affects, de tout ce qui marque chez lui et pour chacun la trace de l’exil du rapport sexuel. Il se crée une communauté de symptômes. L’amour permet donc de sortir d’une solitude radicale, et ainsi il favorise le lien social. Les femmes plus que les hommes y sont sensibles, et cela peut aller jusqu’au ravage. Puisque même dans la jouissance sexuelle il y a un chacun pour soi pulsionnel, la question de l’amour peut se formuler ainsi : « de quoi es-tu en train de se jouir lorsque tu m’aimes ? »
Notons enfin avec Lacan, que « la croire, une femme, est un état, Dieu merci, répandu – cela fait de la compagnie, on n’est plus tout seul, et en cela l’amour est précieux. »9 Mais posons une question aux sujets analysés : que devient la dimension de l’amour, lorsque le sujet analysé ne s’oriente plus à partir du fantasme, c’est-à-dire de l’être et du symptôme comme question, et donc recélant encore une vérité ; mais à partir du sinthome, ce reste de jouissance singulier qui, comme tel, n’est plus une question mais une réponse de l’existence ?
Bernard Porcheret
1 – J. Lacan, Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, deuxième publication, juin 2001, texte établi par Jacques-Alain Miller, p. 233-234.
2 – Op. cit., p. 214.
3 – J. Lacan, Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, Éditions de La Martinière et le Champ Freudien Éditeur, Paris, 2013, texte établi par Jacques-Alain Miller, p. 53.
4 – J. Lacan, Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Seuil, Paris, 2004, texte établi par Jacques-Alain Miller, p. 209.
5 – J. Lacan, Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1973, texte établi par Jacques-Alain Miller. Voir p. 245.
6 – J. Lacan, Écrits, Seuil, Paris, 1966, p. 733.
7 – J.-A. Miller, « Un répartitoire sexuel », La Cause freudienne n°40, janvier 1999, p. 24.
8 – Ibid.
9 – J. Lacan, « Le Séminaire, livre XXII, R.S.I. » Ornicar ? n°3, mai 1975, séance du 21 janvier 1975, page 110.
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