Inconscient freudien et inconscient lacanien
Conséquences sur le déroulement des cures psychanalytiques
Présentation du thème
Télécharger le texte
.
L’homme parle. Pour parler, il a à entrer dans le langage, et dans un discours préexistant, qu’il le veuille ou pas. Mais ce qu’il dit reste en échec, car à l’horizon reste le désir, qui ne peut se dire. Le désir court entre les signifiants, il est métonymique. La question de ce que vaut le langage se déplace. Il ne s’agit pas de la correspondance entre tout ce qui se dit et le réel, le langage lui-même est un réel.
Dans le Séminaire V, Lacan va construire un Autre abstrait, machine-signifiante partenaire du sujet. Il va objectiver la structure. En construisant son graphe du désir, il privilégie la technique signifiante. Il enracine la libido dans l’insatisfaction.
Il laisse de côté le partenaire-symptôme, le côté jouissance qui dominera son dernier enseignement. La libido sera clivée entre désir et jouissance : côté désir la libido court, côté jouissance elle est fixée. Quant à la satisfaction, elle est paradoxale, elle se situe entre désir et jouissance.
.
Pour faire valoir le scandale de l’énonciation, Lacan essaie de rendre compte du Witz que Freud a mis au fronton de sa Psychopathologie de la vie quotidienne. Le mot d’esprit est un message incongru, inattendu, paradoxal, voire scandaleux, c’est d’abord du nouveau dans le dire. Le mot d’esprit est un pas de sens, au sens de faire un pas. “Le peu de sens du mot d’esprit doit être accueilli comme pas de sens.” 1. “L’Autre renvoie la balle, il range le message dans le code en tant que trait d’esprit, il dit dans le code : ceci est un trait d’esprit.” 2
Pourtant, paradoxalement, une satisfaction se retrouve quand l’Autre reconnaît, dans l’échec à dire, ce qui peut se dire au-delà. C’est ce qui rend si percutante et permanente pour la psychanalyse la référence au mot d’esprit. C’est pour cela que Lacan revient, en l’affinant, sur la fonction du père dans ce Séminaire. Le Nom-du-Père, c’est ce qui ce qui dans le code peut dire oui. L’Autre entérine, dit oui à un message échoué. Pour qu’il y ait mot d’esprit, il faut qu’il y ait mise en jeu de cette fonction qui à la fois représente la loi et consent à l’exception, du style passez quand même. Le oui au néologisme, à une invention, c’est au fond le oui du père. Si le père freudien dit non, le père lacanien dit oui 3. Le oui, c’est ce qui permet du nouveau. L’Autre du Séminaire V n’est pas un ordinateur.
Le bien dire à la fin de l’analyse n’est pas le bien dire de la rhétorique, du code, mais du mot d’esprit, du néologisme comme nouveau mode de dire. Ceci se démontre dans la procédure dite de la passe que Lacan inventera pour que la communauté analytique soit enseignée sur le passage, au un par un, de l’analysant à l’analyste. L’analysant témoigne de la construction de son analyse à deux passeurs, du Witz, du néologisme qu’il perçoit comme conclusif, de sa nouvelle façon de dire et de faire avec la répétition. Les passeurs transmettent ce qu’ils ont alors entendu à une commission qui dit ou ne dit pas oui.
Lacan montre que l’inconscient tient au social. L’Autre préexiste au sujet quand il arrive dans le monde. Avant d’être parlants, les sujets sont parlés, identifiés. Le discours est cette machine originale qui met en scène le sujet 4 ; elle opère dans les coulisses, elle met en scène le sujet de la civilisation dans le moment actuel. La politique, c’est aussi capter le sujet dans des identifications, “L’inconscient, c’est la politique” 5 est donc l’équivalent de “l’inconscient, c’est le discours du maître”. S’en distinguent la poésie qui utilise le signifiant à des fins de jouissance, et la psychanalyse qui, en faisant chuter les identifications, réduit le symptôme à un reste singulier, à sa lettre.
Lacan, dans les années 70, esquisse l’idée d’un autre type de discours : le discours capitaliste. Ceci veut dire que le sujet n’a pas de signifiant maître, il est libre ou tenu à les inventer. Le sujet ne peut se régler sur les discours de l’Autre pour se désigner lui-même, son S1 est introuvable ; il doit construire ses propres signifiants maîtres. Nous ne sommes plus dans une logique du tout, mais dans une logique du pas-tout où le pour-tous ne vaut pas. Il n’y a pas d’exception, donc pas de limite structurale. La limite, quand elle intervient, n’advient que sous la forme de la contingence ; elle dépend de la rencontre, et non pas de la structure. Ainsi la conséquence majeure peut s’en résumer d’une formule : « Le pas-tout comporte la précarité de l’élément ». « La globalisation s’accompagne d’individuation. Ce qui est atteint, c’est le mode de vivre ensemble, le lien social qui existe sous la forme de sujets désarrimés, dispersés. »
Quand la psychanalyse rencontre un autre ordre symbolique et un autre réel que ceux sur lesquels elle s’était établie, la psychanalyse change. Ainsi Lacan va substituer le parlêtre, le corps parlant, à l’inconscient freudien. Que veut dire analyser le parlêtre, quand ce n’est plus exactement la même chose qu’analyser l’inconscient au sens de Freud, c’est-à-dire l’inconscient structuré comme un langage ?
____________________________________________
1 J. Lacan, Les formations de l’inconscient, pp. 98 et 99.
2 Idem, p. 25.
3 J.-A. Miller, Séminaire de Barcelone sur Les formations de l’inconscient, 29/30 juillet 1998.
4 J. Lacan, Écrits, p. 649.
5 J.-A. Miller, citation du Séminaire “La logique du fantasme” in « Intuitions milanaises », Mental n°11, décembre 2002.
.
.
.
.
.
.
.